Le Fil blanc de la cascade, de Kenji Mizoguchi

Le Fil blanc de la cascade (滝の白糸 , Taki no shiraito) film japonais de Kenji Mizoguchi, sorti en 1933

Japon, 1890. Taki no Shiraito travaille dans une troupe de forains, elle est célèbre pour sa beauté et sa grande dextérité dans son spectacle de jets d'eau. Alors que la troupe participe au festival annuel de Kanazawa près de la rivière Asano, elle tombe amoureuse de Kinya Murakoshi, un jeune conducteur d'attelage qui a perdu son emploi par sa faute. À la mort de ses parents, cet ancien étudiant en droit a dû se mettre à travailler pour gagner sa vie. Taki no Shiraito, de son vrai nom Tomo Mizushima, promet de l'aider et lui offre de l'argent pour qu'il puisse reprendre ses études. Le couple se sépare et Kinya prend le train pour Tokyo.

Deux années passent pendant lesquelles Tomo envoie de l'argent à Kinya qui étudie avec acharnement. Mais l'hiver arrivant, les spectateurs se font plus rares et les forains connaissent des difficultés. Tomo se trouve confrontée à plusieurs situations où elle doit se résoudre à aider financièrement des membres de la troupe, Ogin la femme de Minami, puis Shinzo et Nadeshiko, le jeune couple qui doit fuir l'usurier Gozo Iwabuchi et enfin Minami, le lanceur de couteaux. Elle ne peut plus rien envoyer à Kinya qui envisage de reprendre un travail.

En désespoir de cause, elle se rend chez Gozo Iwabuchi, mais l'usurier l'abuse avant de lui confier 300 yens. En rentrant par le parc Kenroku, Tomo est détroussée de ses 300 yens si chèrement payés par un groupe de brigands. Quand elle découvre que le couteau qu'un des voleurs a laissé tomber est identique à ceux qu'utilise Minami dans son spectacle, elle comprend que les deux hommes l'ont flouée. En colère, elle retourne chez l'usurier et dans l'empoignade qui s'ensuit, elle tue accidentellement Gozo Iwabuchi avec le couteau de Minami.

Prise de panique, Tomo s'enfuit à Tokyo pour retrouver Kinya mais arrivée dans sa chambre, celui-ci est absent. Elle confie pour lui de l'argent volé chez l'usurier à sa logeuse et est arrêtée avant d'avoir pu revoir son amoureux. À Kanazawa, le procureur interroge sans succès les deux suspects du meurtre, Minima a qui appartient l'arme du crime et Tomo sur les vêtements de laquelle du sang a été retrouvé et qui a pris la fuite. L'enquête traine en longueur et dans la population, l'affaire qui implique Taki no Shiraito, la célèbre magicienne de l'eau fait grand bruit. Et bientôt, la nouvelle arrive qu'un nouveau et brillant procureur arrive de Tokyo pour reprendre en main l'instruction.

Le nouveau procureur n'est autre Kinya. Tomo qui n'a pas revu Kinya depuis trois ans est heureuse de voir qu'il a brillamment réussi et que ses efforts n'ont pas été vains. Kinya, désespéré, comprend qu'il doit juger sa bienfaitrice et que sa propre réussite est due à l'argent volé à la victime du meurtre. Il ne sait que faire et Tomo l'implore de la laisser se sacrifier et de ne rien révéler de leurs liens.

Pendant le procès, Tomo, interrogée par Kinya, avoue le meurtre de Gozo Iwabuchi puis se suicide en se mordant la langue. Quelque temps plus tard, Kinya se tire une balle dans la tête sur les bords de la rivière Asano, là où les amants s'étaient jurés de s'entraider.

Le dialogue, rendu par le biais des intertitres, touche à la nature du destin. Quand Kinya, un cocher sans le sou dialogue avec Shiraito, une actrice de théâtre rencontrée par hasard, qui veut financer ses études: «Mais il n'y a aucun lien entre nous», objecte Kinya. Shiraito lui répond : « Les gens liés peuvent être des étrangers au premier abord. Si tu acceptes les effusions de mon coeur, cela n'en devient-il pas un lien?» Le mot «lien» se dit "en", qui désigne non pas un lien fortuit mais un lien fatidique entre les individus.

Préparant le terrain pour établir cette liaison entre Shiraito et Kinya, Mizoguchi emploie la lune comme une source d'illumination associant à la fois la blancheur et l'instabilité du corps céleste au corps de Shiraito. En rencontrant Kinya, assoupi sur une passerelle, Shiraito virevolte autour de lui et exécute tout une gestuelle en montrant la plénitude de son visage blanc, puis ses longs cheveux noirs, détachés dans le dos, et à nouveau son visage alors qu'elle fixe son regard sur Kinya.

Ces fluctuations lunaires rappellent les performances scéniques de Shiraito, lesquelles sont basées sur une ostensible maîtrise de la magie sur l'eau. Les jets d'eau qu'elle semble contrôler, les extensions de son corps (le «fil blanc» de son nom) forment, au point culminant du spectacle, un voile de dissimulation jubilatoire. Ce rideau d'eau qui sépare Shiraito de son public montre à la fois sa force et sa faiblesse : perçue comme une entité quasi divine, elle n'en court pas moins le risque d'être abandonnée au dénuement.

Sa nature lunaire est également soulignée lors d'un dialogue avec Kinya : le mot ukiyo, le «monde flottant» des fluctuations imprévisibles, évoque le destin inéluctable des gens ordinaires. Les étapes suivantes du récit de Mizoguchi enregistrent la perte du contrôle de Shiraito sur son propre corps; d'abord en se prostituant afin d'avoir l'argent nécessaire pour l'éducation de Kinya, puis dans l'embuscade qu'elle subit dans le parc, un long plan méticuleusement chorégraphié où son corps tourbillonne dans différentes directions, et enfin, comme attirée par le couteau qu'elle retrouve sur le site de l'agression, dans un retour compulsif à la maison de son spoliateur, où son meurtre, semblable à la piqûre d'un insecte mourant, est réflexivement exécuté.

Tout Mizoguchi, ou presque, se trouve dans le film : l'apothéose féminine et sa dégradation, la faiblesse masculine, la cruauté de l'ordre social, l'écoulement inventif des gestes et des mouvements de caméra, ainsi que la nostalgie de l'artiste pour un passé imaginaire dans lequel l'homme et la femme vivent pour l'art et l'amour.

Distribution

  • Takako Irie : Taki no Shiraito / Tomo Mizushima
  • Tokihiko Okada : Kinya Murakoshi
  • Ichirô Sugai : Gozo Iwabuchi, l'usurier
  • Hirotoshi Murata : Minami
  • Bontarô Miake : Shinzô
  • Suzuko Taki : Nadeshiko

Fiche technique

  • Titre original : 滝の白糸 (Taki no shiraito)
  • Réalisation : Kenji Mizoguchi
  • Scénario : Yasunaga Higashibojo, Shinji Masuda, Nariharu Sugano et Kennosuke Tateoka d'après le roman Gogetsu koketsu de Kyôka Izumi
  • Photographie : Minoru Miki
  • Montage : Tazuko Sakane
  • Sociétés de production : Irie Production et Shinkô Kinema (Studios d'Uzumasa)
  • Format : noir et blanc - 1,37:1 - Film muet
  • Durée : 119 minutes
  • Date de sortie : 1er juin 1933