Une femme de Tokyo (Tôkyô no onna) de Yasujirô Ozu

Une femme de Tokyo (東京の女, Tôkyô no onna) film japonais de Yasujirô Ozu, sorti en 1933

 

Chikako , dans le but de payer les études de son frère Ryoichi , mène une double vie. Secrétaire le jour, elle travaille le soir comme entraîneuse dans un cabaret plutôt louche. Les rumeurs allant bon train, Ryoichi finit par l’apprendre de la bouche même de sa fiancée qui ne pensait pas à mal ; il va avoir du mal à accepter cette vérité qui va le conduire au drame.

Les films d’Ozu parlent du long déclin de la famille japonaise, et par-là même, du déclin d’une identité nationale. Ils le font, sans dénoncer ni mépriser le progrès et l’apparition de la culture occidentale ou américaine, mais plutôt en déplorant avec une nostalgie distanciée la perte qui a eu lieu simultanément. Aussi japonais soient-ils, ces films peuvent prétendre à une compréhension universelle.

On trouve dans le film des hommages à Lubitsch avec ses personnages se rendant au cinéma pour y voir le sketch ‘The Clerk’ du film "If I had a Million", et certaines séquences de déambulations nocturnes, par leurs ambiances et éclairages expressionnistes, font très ‘film noir’. C'est un moyen mètrage muet très intéressant par l’affirmation grandissante de quelques préceptes du style Ozu à venir et par son sujet, la description d’une époque d’austérité due à la crise au cours de laquelle il fallait choisir entre nécessités économiques et sens de l’honneur, et pendant laquelle il fallait savoir mettre sa fierté de côté pour arriver à s’en sortir quitte à se sacrifier pour autrui sans forcément tomber dans le désespoir. On trouve quelques éléments récurrents du style du cinéaste : la répétition de ses fameuses ‘natures mortes’ servant de raccords et rythmant ses œuvres telles les bouilloires, les fumées de cheminées, le linge étendu au dehors soulevé par le vent, l’aplatissement des décors dû à l’absence de profondeur de champs et le souci d’un certain réalisme et d’une certain poésie du quotidien.

Chikako constitue un exemple de la plus grande maturité féminine selon Ozu. Il faut rappeler, pour essayer de comprendre pourquoi les personnages féminins dans son cinéma sont plus matures que les hommes, que le cinéaste, pour compenser les absences d’un père qui l’a négligé aux années cruciales de son adolescence, a reporté un amour exclusif sur sa mère à laquelle il s’est consacré sa vie durant refusant de se marier. Chikako, cette femme se prostituant dans un cabaret pour financer les études de son orphelin de frère n'est pas déprimée, puisque son unique plaisir est de subvenir aux besoins de son frère et de l’aider à se faire une situation. Le sens de l’honneur des hommes va être ici remis en question par Ozu et son héroïne. Alors que le frère, ayant appris la vérité, a préféré se suicider plutôt que de continuer à vivre dans cette honte familiale, Chikako, sur sa tombe, lui lance cette phrase sèche et laconique : "Jusqu’au bout, tu ne m’auras donc pas comprise ; tu es mort juste à cause de ça… Espèce de mauviette !".

Distribution

  • Yoshiko Okada : Chikako
  • Ureo Egawa : Ryoichi, son frère
  • Kinuyo Tanaka : Harue, la petite amie de Ryoichi
  • Shin'yo Nara : Kinoshita, le frère de Harue

Fiche technique

  • Titre original : 東京の女 (Tôkyô no onna)
  • Réalisation : Yasujirô Ozu
  • Scénario : Tadao Ikeda, Kôgo Noda
  • Société de production : Shôchiku
  • Photographie : Hideo Shigehara
  • Montage : Kazuo Ishikawa
  • Format : noir et blanc — 35 mm — 1,33:1 — muet
  • Durée : 47 minutes
  • Date de sortie : 9 février 1933